RETOUR SUR le NET - JULIETTE

 

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"Juliette", Victor Hugo mon fol amour...

Marie Torres - 27 janvier 2020

 

Sans Juliette Drouet, Victor Hugo serait-il tout à fait devenu Victor Hugo ? Ce roman de Patrick Tudoret, "Juliette", particulièrement émouvant et beau répond à cette question de manière éclatante. Rencontre avec l'auteur.

 

Patrick Tudoret

 

 

Micmag.net : “Juliette” n'est pas un roman mais un journal qui donne la parole à cette femme exceptionnelle qui a passé cinquante années auprès de Victor Hugo. Jusqu'ici personne ne lui avait jamais rendu hommage...?

Patrick Tudoret : C’est à la fois un roman – un vrai roman et j’y tiens - et un journal, ou plutôt, disons, des mémoires ou souvenirs apocryphes, car il est écrit à la première personne. Ces souvenirs, elles aurait pu les écrire car elle a beaucoup écrit : 22000 lettres envoyées à Victor Hugo sur cinquante années, par exemple, ce qui est incroyable, mais aussi des notes de voyage ou une relation de son éducation au couvent des Madelonnettes que j’évoque dans le roman. Si ses notes de voyage sont assez cliniques, précises, mais sans ambition littéraire assumée (elle les prenait à la demande de Victor Hugo pour étayer son propre travail), ses lettres témoignent d’une grande liberté d’esprit, de ton et d’une manière bien à elle de voir le monde, pleine d’humour, de générosité, de fantaisie.

Pour répondre à la fin de votre question, il y a déjà eu quelques biographies de Juliette Drouet, rendant hommage à la femme exceptionnelle qu’elle fut, mais jamais de roman, c’est le premier et je tenais à ce qu’il soit écrit à la première personne. C’est une manière de la rendre plus présente, plus vivante, plus “réelle”, et l’écrire a été un vraie volupté.

M. : Juliette a été pour Hugo bien plus qu'une amante, plus même qu'une épouse, elle lui a consacré sa vie, l'a accompagné dans tous ses combats et dans tous ses deuils, notamment celui de Léopoldine.

P.T. : Juliette fut la muse, y compris critique, de Victor Hugo, ne lui a-t-elle pas inspiré des dizaines de poèmes, des milliers de lettres et n’apparaît-elle pas de manière cryptée dans toute son œuvre romanesque ? Elle fut son amante, son amie, sa complice en mille “forfaits” et mille combats, mais aussi sa femme, “sa plus qu’épouse”, en vertu non d’un contrat de mariage (encore que l’on dit qu’il lui a proposé le mariage à la fin de leur vie), mais d’un pacte d’amour passé entre eux et qui ne devait jamais mourir en dépit des nombreux vents contraires. Il est vrai aussi, qu’elle l’a soutenu dans tous ses combats politiques, sociaux et, bien sûr littéraires en l’aidant à mettre ses livres au propre et faisant feu d’avis dont il tenait compte.

Des deuils, ils en ont vécus de multiples puisqu’ils ont vu partir Léopoldine, en effet, à dix-neuf ans à peine..., mais aussi Claire, la fille que Juliette avait eu avec le sculpteur Pradier, morte de phtisie à vingt ans, gamine très prometteuse que “Toto” (de son petit nom intime) aimait comme sa fille. Et bien sûr les fils, Charles et François-Victor, morts au tout début de la quarantaine – que Juliette aimait comme ses fils – et ne parlons pas d’Adèle cette fille surdouée qui finit entre les murs d’un asile... Tous ces drames auraient pu briser leur couple, mais au contraire il en sortit meurtri, mais fortifié à chaque fois.

Enfin, entre le jeune écrivain prometteur, poursuivi par le parfum de soufre du scandale d’Hernani et le monument national qu’il est devenu, il y a eu mille choses : révolutions, tragédies, réussites éclatantes, échecs, mais aussi Juliette Drouet qui fut constamment à ses côtés et jusque dans l’exil. Je suis persuadé que sans elle, il ne serait sans doute jamais devenu pleinement Victor Hugo.

M. : A travers l'histoire de cette passion, ce sont aussi cinquante années d'Histoire et de grands événements qui défilent...

P.T. : Oui, et c’est aussi ce qui donne son prix à leur histoire. Ils ont traversé le siècle – et cela apparaît bien sûr dans le roman – et ses convulsions, ses révolutions, ses guerres. Le grand vent de l’histoire les a portés bien au-delà d’eux-mêmes (elle lui a même sauvé la vie lors du coup d’Etat de décembre 1851) et en a fait des figures de légende. C’est cette légende vraie que je voulais raconter. “L’acteuse” - comme elle se désignait elle-même avec ironie – qui connut un certain renom dans le Paris des théâtres et fut très courtisée, a épousé le destin exceptionnel de l’homme qu’elle aimait, mais ce fut un choix et elle le fit en toute conscience comme la femme libre et au caractère bien affirmé qu’elle était. Cinquante années, un demi-siècle d’amour, c’est une durée assez prodigieuse, mais c’est surtout ce message que malgré les accrocs – et il y en eut de la part de ce diable d’homme, mais qui l’aimait au fond plus que tout -, malgré d’incroyables turbulences que nous imaginons à peine aujourd’hui tant ce que nous prenons pour l’Himalaya ne sont que de pâles collines à côté... : une vie sans amour n’est pas une vie. “L’Enfer, c’est de ne plus aimer”, comme Bernanos l’écrira plus tard.