RETOUR SUR le NET - PETIT TRAITÉ DE BÉNÉVOLENCE
Patrick Tudoret : pour en finir avec le Cynisme
Patrick Kervern - 7 juin 2019
L’écrivain Patrick Tudoret a récemment publié son Petit Traité de Bénévolence aux Editions Tallandier où il explore avec nuance et délicatesse l’impérieuse réhabilitation de ce mot oublié, expression de l’amour en action face au mot bienveillance, une coquille de plus en plus vidée de son sens.
Il porte également une lourde et courageuse charge contre le cynisme, cette passion triste française, “impuissance lucide érigée en dérision”, “ cette “pose vaguement esthétisante, puissamment pathétique” ou encore “cette pensée par défaut d’un monde vautré dans l’extase matérielle”.
Interview et décryptage :
Umanz- Pourquoi cette charge contre le cynisme ?
Patrick Tudoret : Je vois trop de cynisme à l’oeuvre dans la société et je mesure ses effets désastreux. Le cynisme est une réaction de défense organique de l’individu. Comme toute défense mal adaptée elle est généralement sur-dosée et provoque des allergies graves, le système immunitaire réagit mal…
Cet excès de cynisme a pour conséquence néfaste un rejet du monde et de l’autre. Une manière d’être uniquement dédiée à l’objet, à l’hédonisme, l’accumulation, le plaisir immédiat, toutes ces choses qui ne bâtissent bien.
Le cynisme confine à l’impuissance. C’est une pose vaguement esthétisante de récupération stérile.
Meryl Streep déclarait il y a quelque temps qu’elle n’avait plus de patience pour le cynisme, moi non plus.
Umanz – Le Cynisme est-il un mal français ?
Patrick Tudoret : J’admire Voltaire mais il y a en France ce “ricanement Voltairien” que décrit François Cheng. Le cynisme est avant tout un travers typiquement humain, une tendance à combler le vide par le vide.
On voit partout agir cette “dérisoire dérision” qui gorge les médias et qui semble refuser, par peur, toute forme d’esprit, de métaphysique et de verticalité.
Il y a là un certain refus du tragique qui fait partie du quotidien du monde. Une incapacité à regarder en face la condition humaine…Il n’y a rien de plus tragique que ce refus du tragique.
Umanz – Comment sortir par le haut du cynisme ?
Patrick Tudoret : Par la lecture des grands textes.J’explique dans mon livre que face au chaos du monde l’homme dispose de trois armes de construction massives : l’amour, l’art et le sacré.
Il faut réhabiliter et pratiquer la bénévolence, issue de l’amor benevolentiae latine qui est l’une des plus belles formes d’amour et qui devait être exhumée d’urgence de la fosse où elle croupissait.
“Aimer c’est agir” disait Hugo. Il ne faut jamais oublier que la vérité du langage se retrouve dans l’origine des mots et vous constaterez que chaque fois qu’un totalitarisme est né sur cette terre, il s’est exercé dans le langage. Or défendre la langue, c’est défendre sa liberté et sa puissance à l’exprimer. J’ai souvent constaté que la violence est un langage de substitution lorsque la langue a failli.
“J’ai souvent constaté que la violence est un langage de substitution lorsque la langue a failli.”
Patrick Tudoret
In fine, le cynisme est une crise qu’il faut dépasser et ne pas laisser durer, une colère impuissante. Mais la colère qui dure est un cancer de l’âme. Il faut en permanence remettre du vivant, de la chair sur l’os sec de la désillusion.
On pense un peu trop vite que le monde se défait. Dans la mythologie grecque, ce qui restait dans la boîte de Pandore était l’espérance. Il faut donc combattre le pessimisme et la désillusion par l’espérance et suivre l’exemple de Camus et sa révolte morale contre le pire.
Aller vers l’autre, enfin. Car, comme le rappelait Paul Ricoeur : “le plus court chemin de soi à soi passe par autrui.”